N°82

— Cette terre m’appartient ! répéta Martha, butée. C’est moi qui l’ai trouvée la première !
Trace Lockhart la dévisagea en silence. Il n’avait jamais rien vu de plus frais, de plus exquis, que cette bouche pulpeuse, et ce petit nez droit avec juste ce qu’il fallait d’impertinence pour que perfection ne devînt pas monotonie.
De plus, apparemment, la mâtine n’était point sotte. Pour l’amadouer, il convenait donc d’être rusé…
— Fort bien, dit-il posément. Dans ce cas, pourquoi ne pas convenir d’un arrangement ? Je vous laisse ce terrain pourvu que vous vous engagiez à me le restituer en cas de départ.
Les yeux de Martha étincelèrent. Si ce mufle espérait que, de guerre lasse, elle finirait par plier bagage, il se trompait. A malin, malin et demi !
— C’est d’accord, dit-elle simplement.
Souriant, Trace Lockhart enfourcha sa monture pour disparaître au galop dans la vaste plaine étoilée de fleurs sauvages. D’abord crispée, Martha se détendit peu à peu et s’émerveilla devant le déroulement infini des plateaux. Dans le ciel bleu dur, de gros nuages s’enroulaient en replis inextricables. Leur ombre sur la prairie était étrangement sombre : bleu foncé, violette, indigo. Une lumière vibrante frissonnait sur ce monde immobile et silencieux dont le cœur semblait battre au ralenti.
Farouche, Martha serra les poings : n’en déplaise à Trace Lockhart, ce paradis serait à elle… rien qu’à elle !